En lien avec notre café citoyen du 22 février 2018, dont l’intervenant était l’économiste Philippe Jaunet sur le thème « le revenu universel: une fausse bonne idée ? », nous vous proposons la lecture suivante et d’écouter une émission de France Culture
En présentant un « revenu universel d’activité », le président de la République opère un travail de capture et de fixation du réel, puisqu’avec sa mise en place, il pourra légitimement revendiquer d’avoir mis en place un dispositif qui n’a pourtant d’universel que le nom.
Le dispositif de « revenu universel d’activité » a été présenté le mois dernier, par le président Emmanuel Macron, comme l’une des pierres angulaires de sa stratégie de lutte contre la pauvreté. Or, ce qui nous interroge justement avec ce revenu dit « universel », c’est qu’il n’a d’universel que le nom.
Le président a ainsi présenté les grandes lignes de cette allocation, qui devrait fusionner, je cite, « le plus grand nombre possible de prestations et dont l’Etat sera entièrement responsable ». Cette allocation unique viendrait donc remplacer les multiples minima sociaux versés par l’état et serait, grande nouveauté, versée automatiquement à ses bénéficiaires.
Cette automaticité du versement serait ainsi une véritable avancée puisqu’elle permettrait de réduire drastiquement le non recours à ces aides sociales. Ce sont aujourd’hui près de 30% de ces allocations qui n’atteignent jamais leurs bénéficiaires. En cause, la complexité des démarches, la méconnaissance des droits ou une forme d’embarras et de fierté qui pousse les allocataires potentiels à ne pas effectuer leur demande.
Une allocation unique et automatique, mais pas universelle
On peut donc parler d’une allocation unique et automatique, mais pas universelle, pour la simple raison que son versement serait soumis à des conditions de ressources et qu’il impliquerait des contreparties de la part des allocataires. Des « devoirs » selon les mots du président.
Or, comme le rappelle un article du monde, le revenu universel dans son acception la plus commune -défendue notamment par le Mouvement pour un revenu de base- repose sur plusieurs critères, d’inconditionnalité, d’universalité, d’automaticité et sur la possibilité pour les bénéficiaires de le cumuler avec d’autres aides ou revenus. Or de ces critères, le dispositif macronien n’en reprend qu’un.
On peut donc s’interroger sur les raisons qui ont poussé le Président à parler de « revenu universel ».On touche en réalité, ici, à une torsion assez classique du langage par le politique. Le double objectif pour le président de la République est ici non seulement de reprendre à son compte la valeur symbolique que véhicule ce terme, mais aussi, dans un même mouvement, de priver ses adversaires de son usage.
Un travail de torsion du langage au service du politique
Ainsi, le revenu universel renvoie à un imaginaire très fort, qui touche selon la conception qu’on en a, des partisans de droite comme de gauche. En reprenant à son compte ce terme, brinquebalé d’une définition à l’autre, d’un parti ou d’une sensibilité à l’autre, le Président de la République opère en réalité un travail de capture et de fixation sur le réel.
A l’avenir, avec la mise en place de ce dispositif, il pourra se targuer d’avoir mis en place un revenu universel, intégrant, épuisant même, par la force du politique, les contradictions et les mensonges d’une telle affirmation.
Ce pouvoir du langage et sa capture progressive par le politique a d’ailleurs été mise en lumière par de nombreux intellectuels. Oui, depuis les linguistes et les philologues, analystes des usages du langage, jusqu’aux travaux d’Eric Hazan qui, dans son ouvrage « Lingua Quintae Respublicae ou la propagande au quotidien », se livre à une critique sémantique de la cinquième République. Pour l’auteur, la LQR, cette hybridation post-moderne de la langue, a largement contribué à la mise en silence, à la mise en berne, des conflits politiques, économiques et sociaux.
Un essorage sémantique comme instrument de légitimation
En opérant un travail d’euphémisation du réel et « d’essorage sémantique », selon les mots de l’auteur, cette novlangue utilisée par les hommes politiques permet de cacher dans les replis d’un langage, fade et normé, la réalité des décisions politiques. En clair, les mots sont vidés de leurs sens ou utilisés pour ce qu’ils ne sont pas à des fins de pouvoir et de dissimulation.
Les politiques emploient ainsi une série de termes qui, derrière leur apparente neutralité, véhiculent en fait une vision du monde cohérente avec leurs intérêts. Ainsi pour légitimer le contrôle des chômeurs, on nous parle d’assistanat. On ne parle plus de cotisations sociales, mais de charges. Plus de licenciement, mais de plan de sauvegarde de l’emploi. Le langage travaille en éclaireur de la pensée. Il opère une oeuvre de transformation politique si puissante qu’il parvient à nous faire épouser des logiques et des causes, qui nous seraient a priori étrangères.
En opérant ces hold-up sémantiques, les politiques brouillent encore plus les lignes d’un clivage politique qu’ils prétendent dépasser. Eric Hazan va même plus loin et explique dans la revue Regards, que le but de cette langue-fantôme est bien de « faire accepter l’inacceptable, de légitimer des réformes, incessantes » qu’elles aillent, ou non, dans le sens du bien commun.